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Sujet du devoir
Décision n° 2018-717/718 QPC du 6 juillet 2018
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 11 mai 2018 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêts nos 1163 et 1164 du 9 mai 2018), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité…/… Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L. 622-1 et L. 622-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
…/…
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
- la loi n° 2012-1560 du 31 décembre 2012 relative à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d’aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
…/…
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
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La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l’occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi des articles L. 622-1 et L. 622-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dans leur rédaction résultant de la loi du 31 décembre 2012 mentionnée ci-dessus.
1. L’article L. 622-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans cette rédaction, prévoit : « Sous réserve des exemptions[1] prévues à l’article L. 622-4, toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers, d’un étranger en France sera punie d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 30 000 euros. ../…
2. L’article L. 622-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans cette même rédaction, prévoit :
« Sans préjudice des articles L. 621-2, L. 623-1, L. 623-2 et L. 623-3, ne peut donner lieu à des poursuites pénales sur le fondement des articles L. 622-1 à L. 622-3 l’aide au séjour irrégulier d’un étranger lorsqu’elle est le fait : …/…
« 3° De toute personne physique ou morale, lorsque l’acte reproché n’a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte et consistait à fournir des conseils juridiques ou des prestations de restauration, d’hébergement ou de soins médicaux destinées à assurer des conditions de vie dignes et décentes à l’étranger, ou bien toute autre aide visant à préserver la dignité ou l’intégrité physique de celui-ci.
…/…
En ce qui concerne le grief[2] tiré de la méconnaissance du principede fraternité :
Aux termes de l’article 2 de la Constitution : « La devise de la République est "Liberté, Égalité, Fraternité" ». La Constitution se réfère également, dans son préambule et dans son article 72-3, à l’« idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité ». Il en ressort que la fraternité est un principe à valeur constitutionnelle.
Il découle du principe de fraternité, la liberté d’aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national.
Toutefois, aucun principe non plus qu’aucune règle de valeur constitutionnelle n’assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d’accès et de séjour sur le territoire national.
En outre, l’objectif de lutte contre l’immigration irrégulière participe de la sauvegarde de l’ordre public, qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle.
Dès lors, il appartient au législateur d’assurer la conciliation entre le principe de fraternité et la sauvegarde de l’ordre public.
En application du premier alinéa de l’article L. 622-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le fait d’aider directement ou indirectement un étranger à entrer, circuler ou séjourner irrégulièrement en France est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. Toutefois, l’article L. 622-4 du même code prévoit plusieurs cas d’exemption pénale en faveur des personnes mises en cause sur le fondement du délit d’aide au séjour irrégulier d’un étranger. …/… Le 3° de cet article accorde une immunité pénale à toute personne physique ou morale ayant apporté une telle aide à un étranger lorsque cet acte « n’a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte et consistait à fournir des conseils juridiques ou des prestations de restauration, d’hébergement ou de soins médicaux destinées à assurer des conditions de vie dignes et décentes à l’étranger, ou bien toute autre aide visant à préserver la dignité ou l’intégrité physique de celui-ci ».
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Dès lors, en réprimant toute aide apportée à la circulation de l’étranger en situation irrégulière, y compris si elle constitue l’accessoire de l’aide au séjour de l’étranger et si elle est motivée par un but humanitaire, le législateur n’a pas assuré une conciliation équilibrée entre le principe de fraternité et l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public. Par conséquent, …/… les mots « au séjour irrégulier » figurant au premier alinéa de l’article L. 622-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, doivent être déclarés contraires à la Constitution.
Afin de faire cesser l’inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la présente décision, il y a lieu de juger que l’exemption pénale prévue au 3° de l’article L. 622-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile doit s’appliquer également aux actes tendant à faciliter, hormis l’entrée sur le territoire, la circulation constituant l’accessoire du séjour d’un étranger en situation irrégulière en France lorsque ces actes sont réalisés dans un but humanitaire.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. – Les mots « au séjour irrégulier » figurant au premier alinéa de l’article L. 622-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2012-1560 du 31 décembre 2012 relative à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d’aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées, sont contraires à la Constitution.
…/…
Article 4. – Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 5 juillet 2018, …/…
Rendu public le 6 juillet 2018.
[1]Exemption : dispense d’une obligation : Être exempté de quelque chose, ne pas avoir à faire, être dispensé.
[2] Grief : Motif de plainte /Préjudice subi donnant droit d'agir en justice
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