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Sujet du devoir
Aujourd'hui, l'éventail des pratiques sportives s'élargit et s'ouvre sur des épreuves à
codage souple qui manifestent une double tendance: elles permettent encore
l'expression des valeurs uniformes de la concurrence mais en même temps sont
propices à la transgression de l'individualisme bourgeois. Ces épreuves s'opposent
dans leur fondement au sport fédéral structuré par des règles rigides et une finalité
unique : celle de la victoire et du positionnement hiérarchique et sexué des
concurrents. Leur forme englobante autorise divers modes de pratiques n'excluant
pas les valeurs habituellement attribuées au sport moderne: la performance et la
compétition. Les faibles contraintes réglementaires de ces événements sportifs
permettent de coller aux attentes, jouer avec les désirs, satisfaire les aspirations les
plus variées et autorisent le jaillissement d'une expérience émotionnelle. La
signification de l'épreuve réside moins dans son codage que dans le sens que les
pratiquants y mettent et y éprouvent Le Marathon des Sables fait partie de ces
activités qui engendrent de manière discrète la « rébellion contre la fonctionnalité » 1
et simultanément ouvrent des portes sur des mondes multiples.
C'est dans cette dialectique des impressions attendues et réellement éprouvées
dans l'action que nous situerons les forces de contestation de l'ordre établi et aussi
tout simplement la puissance novatrice de l'expérience.
Des indicateurs de transformation
Depuis une dizaine d'années, on assiste à la montée en flèche des raids aventure,
épreuves sportives d'endurance qui durent plusieurs jours et se déroulent dans un
cadre naturel. D'une petite centaine d'épreuves en 1995, on est passé actuellement à
plus de trois cent cinquante. Depuis 1997 existent des regroupements d'athlètes (Adventure Racing Association), d'organisateurs de ces épreuves sur le plan
national (Union des Courses de Sport Nature) et international (International Nature
and Adventure Races Federation). Des challenges inter-raids sont mis en place tels
que le Salomon X-Mountain Adventure lancé en 1998
2. La presse et les sponsors
s'intéressent de plus en plus à ce type d'événements sportifs. Des chaînes de télévision
y consacrent parfois des émissions entières.
L'augmentation des participants et l'essor de la presse spécialisée témoignent de cette
évolution. Le nombre des concurrents du Marathon des Sables s'est accru
considérablement au cours de ces dernières années. De vingt et un en 1986, on est
passé à deux cents en 1990 pour arriver à six cent cinquante inscriptions pour la
prochaine édition en Avril 99. L'intérêt porté aux différentes formes de course
d'endurance se manifeste aussi à travers l'évolution des tirages de revues spécialisées
dans ce domaine. Ces chiffres ne gagnent en signification que si on les juge à l'aune
d'une théorie de la réception, initialement appliquée à l'histoire littéraire. Dans cette
perspective, étendue aux productions journalistiques, les données statistiques
concernant les revues diffusées sont révélatrices de l'ampleur des changements
d'horizon d'attente des lecteurs
3
. En septembre 1997, la rédaction de V02 Mag (journal
des activités athlétiques créé en 1987) a séparé l'actualité des courses sur piste de celle
sur route en donnant naissance à deux journaux distincts: V02 athlétisme et V02
Marathon. Le premier s'intéresse à l'athlétisme sur piste. Il est tiré aujourd'hui à
38.000 exemplaires (8 numéros par an). Le second est spécialisé dans le marathon et
la course pour tous (10 numéros par an à 45.000 exemplaires). La même rédaction a
créé en 19961e magazine endurance, spécialisé dans la course nature, se distinguant
de l'athlétisme compétitif. Il dispense aux lecteurs des conseils d'entraînement,
présente des portraits d'aventuriers, des reportages sur les raids sportifs, des
programmes et résultats des grandes courses d'endurance agrémentés de photos de
coureurs en plein effort. Le tirage de ce bimensuel est passé de 30.000 en 1996 à
38.000 aujourd'hui. Cette diversité révèle un engouement pour une forme syncrétique
de la course à pieds. Tout en se situant aux antipodes des courses d'endurance
traditionnelles, le Marathon des Sables en assimile les formes.
Les formes d’expérience de la course d’endurance
Le Marathon des Sables
4 se singularise par le type d'effort produit, l'exotisme du
cadre et la relation à l'autre qu'elle suscite. La participation à l'épreuve sur ces trois registres confère à l'expérience de la traversée du désert en courant un caractère
largement ouvert, qui différencie ce genre de la forme fermée de l'athlétisme fédéral.
Ainsi, le Marathon des Sables est l'occasion d'une diversité d'expériences que le
processus d'institutionnalisation n'a pas encore vidé de leur puissance créatrice. En
cela, il permet la réalisation de véritables trajets anthropologiques au sens où
l'entend Gilbert Durand, c'est-à-dire l'échange véritable entre forces subjectives et «
intimations objectives» du milieu
5
.
Il s'agit d'une course à pied par étapes en autosuffisance alimentaire s'étendant
sur une durée de six jours. Les étapes quotidiennes varient entre quinze et quatre-
vingts kilomètres. Si certains courent pour gagner, la plupart des concurrents
viennent pour surmonter une épreuve et relever un défi. La distance à parcourir,
contrairement au Marathon classique dont le parcours légendaire reste
inexorablement fixé à 42,195 kilomètres, varie d'une année sur l'autre mais demeure
toutefois proche de 200 kilomètres. Le temps réalisé par les coureurs pour relier
deux étapes oscille entre une et trente cinq heures. Cette course sollicite de façon
quasi extrême la capacité d'endurance du sujet, et sa durée, étalée sur plusieurs jours,
en fait une épreuve particulièrement éprouvante. L'effort continu rend impossible la
cicatrisation des plaies, et une blessure anodine peut rapidement s'aggraver. Les
frottements répétés des différentes parties du corps favorisent la formation
d'ampoules et d'érythèmes. La fatigue, amplifiée par les conditions précaires
d'hygiène, s'accumule au fil des jours et les temps de repos sont trop brefs pour être
réparateurs. La distance à parcourir et la configuration de l'épreuve nécessitent une
préparation pointilleuse. Insuffisante ou inappropriée, les risques de blessure voire
d'abandon augmentent. Mais cet aspect peut également présenter un intérêt
heuristique pour le coureur qui découvre au fil de sa préparation et de sa course les
astuces ou les stratégies qui vont l'aider à minimiser ses souffrances ou à améliorer
ses performances. Pour constituer leur plan d'entraînement, certains se fient à la
représentation qu'ils ont de la course, façonnée généralement par les reportages
télévisés. D'autres vont glaner des informations auprès de coureurs expérimentés ou
de professionnels (médecin, diététiciens) pour étayer leurs connaissances. À partir de
ces données empiriques, ils adaptent leur préparation à leurs capacités initiales, leurs
contraintes familiales et professionnelles. La régularité de l'entraînement permet
d'estimer progressivement les besoins caloriques quotidiens et de tester différents
aliments. En fonction de leur apport énergétique, le coureur averti compose ses
menus à l'avance et prépare ses rations journalières bien avant la date du départ vers
le désert. Pour éviter les ampoules, certains coureurs durcissent l'épiderme de leurs pieds en les baignant quotidiennement dans des solutions
formolées, ou en les badigeonnant de « Tannopat », produit destiné à raffermir les
coussinets des pattes de chiens.
L'exotisme caractérise également cette épreuve qui se déroule chaque année
dans le sud marocain. Oueds, jebels, pistes sablonneuses ou caillouteuses, dunes et
palmeraies composent les paysages que traversent les concurrents. Cet
environnement souvent vierge de toute trace de domestication, lieu d'explorations
légendaires et de pèlerinages historiques peut devenir exécrable pour le coureur. La
difficulté du terrain impose une lecture corporelle du paysage. On se souvient des
dunes de sables où l'on s'est « enfoncé », des cailloux qui « réveillent » les ampoules
et torturent les pieds, les immenses espaces vides et plats, « interminables » faute de
repères qui procurent une sensation de fatigue et de lassitude, la chaleur qui « écrase»
et assoiffe, le soleil qui brûle et provoque des allergies cutanées. Le coureur ne
vagabonde pas. Il n'explore pas le cadre exceptionnel dans lequel il se trouve. Il
court sur fond exotique. Il n'est pas là pour visiter les sites, ni pour s'imprégner des
coutumes autochtones et se fondre dans la culture aborigène. Il ne voit que ce que
l'itinéraire lui offre à voir. Sa prise sur l'espace est fortement limitée par l'intention
de la traversée. Le champ perceptif du coureur est largement déterminé par la
sollicitation totale d'un corps tendu vers la réalisation de cette tâche. Les arrêts
prolongés sont rares et plus souvent occasionnés par la fatigue que par le besoin de
contempler le paysage et de communiquer avec les populations indigènes
6
.
L'exotisme des marathons sur route, par contre, est beaucoup plus urbain et de
nombreux coureurs invétérés n'hésitent pas à s'envoler pour New York, Paris ou
Berlin pour participer à ces grands rassemblements d'athlètes, décrits comme des
spectacles de fin du monde par Baudrillard
7
, qui dénonce l'absurdité et la dérision de
l'effort inutile. On retrouve une partie de ces coureurs-là au Marathon des Sables.
La singularité de l'épreuve réside également dans le partage. Le Marathon des
Sables étant une course par étapes, les concurrents se retrouvent tous les soirs au
bivouac. Regroupés par dix sous des tentes berbères, ils échangent alors leurs
impressions, racontent leurs déboires de la journée, et évoquent les sensations
éprouvées au fil de la course. L'un se souvient des enfants qu'il a croisés et avec qui
il a échangé un sourire. Un autre se rappelle de la difficulté qu'il a eu à franchir les
dunes de sable, ces obstacles magnifiques. Une troisième voix raconte qu'au vingt-
cinquième kilomètre, il a doublé un concurrent en détresse et l'a encouragé à
poursuivre sa route en lui tenant compagnie jusqu'au point de contrôle suivant. Les
discussions débordent parfois le cadre de l'épreuve. On parle alors de sa famille, de
gastronomie, de sa vie. Le bivouac est un moment où s'exprime la socialité. Eprouver le sentiment de vivre ensemble une expérience hors
du commun renforce les liens entre les membres de cette petite communauté
d'adeptes de l'effort extrême
8
. Si cet aspect convivial apparaît fréquemment dans les
courses sur route, comme l'a montré M. Ségalen
9
, il est largement accentué au
Marathon des Sables. Au bivouac, les professionnels côtoient les néophytes. Sur un
marathon « ordinaire", les premiers ont empoché leur récompense, pris leur douche,
et se préparent à rentrer chez eux lorsque les derniers arrivent. Rares sont ceux qui
restent sous la banderole pour applaudir les plus lents. Le microcosme du Marathon
des Sable est un monde à part, dans lequel les relations sociales sont quelque peu
idéalisées, les meilleurs côtoient les moins rapides, les origines sociales se
confondent, les ségrégations sexuelles disparaissent, l'autre est accessible quel que
soit son niveau de pratique et son statut professionnel. Tous les coureurs sont logés
à la même enseigne, personne ne voyage en première classe au Marathon des
Sables. Le rationnement de l'eau limite les ablutions et les plats lyophilisés, les
poudres et les barres énergétiques constituent la base alimentaire de chacun. La
promiscuité caractérise ce campement constitué d'une centaine de tentes, démontées
et remontées chaque jour. Outre les coureurs, le bivouac abrite les journalistes, les
organisateurs (contrôleurs, pisteurs, chronométreurs, commissaires de course et de
bivouac), les médecins, les personnes chargées de l'intendance et de la logistique. Ce
village itinérant regroupe près de huit cents personnes et chemine lentement vers
l'arrivée finale, avec des motifs d'agir différents.
Les formes de participation
Le touriste de l'effort s'engage sans trop se rendre compte de ce qui l'attend, sans
avoir une idée réelle de la difficulté de l'épreuve. II achète sa participation comme il
le ferait d'un séjour d'une semaine aux Antilles. Il n'estime pas la distance qui le
sépare de l'épreuve, et n'a pas d'attente précise par rapport à cette expérience. Pas ou
très peu préparé, il est rare qu'il franchisse la ligne d'arrivée et sa participation se
termine généralement sur un abandon. II n'est pas particulièrement affecté par son
échec dans la mesure où il s'engage sans avoir d'ambition ni de but précis. L'épreuve
est une expérience comme une autre, un des nombreux éléments qui constituent la
mosaïque d'une existence qui semble d'abord unifiée par la curiosité. Son inscription
au Marathon des Sables transforme peu ses habitudes de vie.
Le pèlerin attend de cette expérience un enrichissement psychique. Pour lui,
l'aventure est extraordinaire et exceptionnelle et il se donne les moyens de réussir. II
s'investit dans sa préparation, au point de transformer considérablement sa vie
quotidienne, notamment dans les six derniers mois qui précèdent l'épreuve. Son existence s'organise pour un temps autour de cet événement. II n'a pas au départ,
une grande expérience de la course à pied ni du désert. Néanmoins, il sait
approximativement ce qui l'attend et se fixe pour objectif d'arriver au bout, de franchir
la ligne d'arrivée quel que soit son classement. II réalise le parcours en marchant ou en
alternant marche et course. Persuadé que cette traversée exotique et expiatoire sera
source d'enrichissement, il pense qu'il sortira aguerri de cette expérience, mieux armé
pour affronter les vicissitudes de la vie quotidienne. II vit une aventure intérieure dont
le couronnement est le franchissement de la ligne d'arrivée.
Le sportif en quête d'exotisme. L'effort physique fait partie du quotidien pour lui.
Ce qui change, en participant au Marathon des Sables, c'est l'environnement dans
lequel il exerce cette activité régulière. L'expérience est, comme pour le pèlerin, une
finalité. Pour se préparer à courir dans un cadre extraordinaire, il teste ses capacités
dans des conditions proches de celles qu'il va vivre: durée de l'effort, conditions
climatiques, reliefs. Bien que le cadre exotique le tente et l'enchante au départ, le
coureur ne verra en fait au fil de la course, que ce que le tracé lui donne à voir,
soucieux certes de terminer, mais surtout de figurer dans le peloton. II est curieux de
connaître son classement quotidien et vient tous les soirs jeter un coup d'œil sur le
tableau d'affichage pour se renseigner sur sa position. Son épreuve l'enrichit
moralement, mais aussi physiquement. L'épreuve lui fournira une expérience
d'endurance en condition extrême. Il apprend à gérer les paramètres en se confrontant
aux réalités de cette course originale et en écoutant les conseils des plus
expérimentés.
Le compétiteur: c'est le spécialiste pour qui importe de gagner ou de faire un
podium. Les meilleurs participants font du Marathon des Sables une course de haut
niveau. Leur allure moyenne atteint 14km/h, performance exceptionnelle étant donnée
la difficulté des conditions de course. Ces coureurs sont généralement habitués aux
conditions extrêmes et sont des professionnels de la course à pied. Tous les moyens
sont bons pour gagner, et certains jouent avec les limites du règlement et tentent
même de le détourner pour en tirer un avantage. Il est très difficile pour les
organisateurs, étant donnée la distance sur laquelle se déroule l'épreuve, de prendre les
tricheurs en flagrant délit. Ces athlètes se chronomètrent, connaissent parfaitement
leur position par rapport à leurs adversaires directs, sont les premiers à vérifier les
résultats et à repérer les erreurs éventuelles de l'organisation au niveau du temps et du
classement. Ils se préoccupent assez peu du paysage et de la rencontre avec les autres,
si ce n'est peut-être au bivouac. À l'arrivée, ils pensent surtout à récupérer de leurs
efforts pour être performants le lendemain. Boucler l'épreuve ne les satisfait pas. Ils
veulent finir devant et sont prêts à abandonner s'ils voient leur chance de gagner
diminuer au fil des étapes. L'expérience du désert n'est ici pas une fin, mais un moyen
pour parvenir à une fin. Les meilleurs trouvent facilement des sponsors qui prennent
en charge leurs frais d'inscription, car pour une entreprise, aider financièrement un
athlète qui gagne, c'est se parer des qualités de robustesse et de ténacité dont il a fait preuve sur la course. Pour ceux-là, les primes perçues à l'issue de chaque
étape lO et de la course ll ne sont pas négligeables et permettent d'améliorer
l'ordinaire.
Cette variété des façons d'aborder l'épreuve est une conséquence de la souplesse
du règlement instauré. En effet, un écart de plusieurs heures est toléré entre les
concurrents. L'organisation impose une durée maximale pour parcourir chaque étape
afin de faciliter la gestion matérielle de la course mais celle-ci est assez large pour
permettre à tous les coureurs d'arriver à bon port dans les temps définis. Par exemple
en 1998, un temps maximum de 40 heures était autorisé pour parcourir 80
kilomètres. Le premier concurrent a franchi la ligne d'arrivée en moins de 7 heures.
La limitation des contraintes permet d'ouvrir ce type d'épreuves à un public de tous
niveaux, ou presque. Le Marathon des Sables, comme l'ensemble des raids aventure,
propose un cadre que les concurrents peuvent remplir à leur convenance. Jeu,
compétition, partage et exotisme représentent autant d'objets du désir que les
réponses adaptatives à un environnement naturel et social ensauvagé.
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