La question de l’Homme dans les genres de l’argumentation, du XVIe siècle à nos jours

Publié le 28 déc. 2017 il y a 6A par Anonyme - Fin › 31 déc. 2017 dans 6A
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Sujet du devoir

Texte A : Denis Diderot, Supplément au voyage de Bougainville (1796)
Dans cet ouvrage, Diderot imagine un supplément au récit de voyage que fit l’explorateur Bougainville en 1771,
lorsqu’il revint de son tour du monde. Deux voyageurs, A et B, discutent sur les différentes étapes de ce récit.
Le texte que nous étudions rapporte le soi-disant dialogue, tenu entre un vieux chef tahitien et le navigateur
qui s’apprête à quitter avec ses hommes l’île de Tahiti. C’est le chef tahitien qui parle.


Tu es venu ; nous sommes-nous jetés sur ta personne ? avons-nous pillé ton vaisseau ? t’avons-nous
saisi et exposé aux flèches de nos ennemis ? t’avons-nous associé dans nos champs au travail de nos
animaux ? Nous avons respecté notre image en toi. Laisse-nous nos moeurs ; elles sont plus sages et
plus honnêtes que les tiennes ; nous ne voulons point troquer ce que tu appelles notre ignorance contre
tes inutiles lumières. Tout ce qui nous est nécessaire et bon, nous le possédons. Sommes-nous dignes
de mépris, parce que nous n’avons pas su nous faire des besoins superflus ? Lorsque nous avons faim,
nous avons de quoi manger ; lorsque nous avons froid, nous avons de quoi nous vêtir. Tu es entré dans nos
cabanes, qu’y manque-t-il, à ton avis ? Poursuis jusqu’où tu voudras ce que tu appelles les commodités
de la vie ; mais permets à des êtres sensés de s’arrêter, lorsqu’ils n’auraient à obtenir, de la continuité
de leurs pénibles efforts, que des biens imaginaires. Si tu nous persuades de franchir l’étroite limite du
besoin, quand finirons-nous de travailler ? Quand jouirons-nous ? Nous avons rendu la somme de nos
fatigues annuelles et journalières la moindre qu’il était possible, parce que rien ne nous paraît préférableau repos. Va dans ta contrée t’agiter, te tourment<er tant que tu voudras, laisse-nous reposer : ne nous
entête ni de tes besoins factices, ni de tes vertus chimériques. Regarde ces hommes ; vois comme ils sont
droits, sains et robustes. Regarde ces femmes ; vois comme elles sont droites, saines, fraîches et belles.
Prends cet arc, c’est le mien ; appelle à ton aide un, deux, trois, quatre de tes camarades, et tâchez de le
tendre. Je le tends moi seul. Je laboure la terre ; je grimpe la montagne ; je perce la forêt ; je parcours
une lieue de la plaine en moins d’une heure. Tes jeunes compagnons ont eu peine à me suivre ; et j’ai
quatre-vingt-dix ans passés.
Texte B : Jacques Lacarrière, L’Été grec (1975)
Jacques Lacarrière (1925-2005) journaliste et écrivain, s’est très tôt passionné pour la Grèce, aussi bien antique
que moderne. Son ouvrage, L’Été grec, est à la fois un essai, un carnet de voyage et un hommage rendu
au peuple et à la terre grecs. Il semble écrit au fil de ses découvertes.
« Il est difficile de définir avec précision les frontières séparant ce que j’appellerai l’hospitalité rituelle
– celle que l’on reçoit par principe dès qu’on se trouve dans un village grec ou crétois dépourvu d’hôtel
– de l’hospitalité réelle, celle que l’on vous propose parce que l’on tient à vous avoir, à vous garder. Passer
de l’un à l’autre, devenir hôte recherché après n’avoir été qu’hôte accueilli, ne dépend plus que de
vous-même. Ce changement repose sur mille attitudes de détail, mille signes devenus aujourd’hui sans
valeur mais qui ont dû jouer un grand rôle autrefois quand l’hospitalité était le seul mode d’accueil et de
rencontre des groupes ou des individus. Ces signes ? Eh bien votre tête, pour commencer, l’impression
immédiate que vous donnez avec votre regard, votre visage (car l’habillement, l’allure ne viennent que
bien ensuite : ceux-là on peut les fabriquer comme on veut, se donner l’apparence qu’on veut mais on
ne change pas le sens, la profondeur ou la malignité de son regard), impression qui repose bien entendu
sur quelque substrat inconscient et qui fait qu’on vous ressent d’emblée comme bénéfique ou indifférent,
amical ou hostile, proche ou lointain. Et puis votre attitude, votre comportement à l’égard du nouveau
milieu et de ses habitudes (ce qui n’est pas toujours sans problèmes concrets, drôles ou pénibles selon
les cas), attitude qui doit faire de vous un hôte à la fois invisible et présent : invisible parce que vous devez
oublier vos propres habitudes, vous fondre autant que possible dans le nouveau milieu, présent parce
qu’au fond, ce qu’on attend de vous n’est pas que vous deveniez brusquement crétois pour un seul soir,
mais d’être et de rester un visiteur français chez les Crétois, avec tout ce que vous pouvez apporter, fournir
à votre tour d’insolite ou simplement de méconnu.
Ces remarques paraîtront peut-être banales et superflues et pourtant, ces voyages dans la Crète du
sud où, pendant des jours et des jours je n’ai vécu qu’ainsi, de village en village, de familles en familles,
d’hôtes en hôtes, ces voyages n’ont pas seulement métamorphosé les habitudes de mon corps mais
surtout ma façon d’être avec les autres. Ils ont créé en moi ce goût, ce besoin même de rencontres avec
les inconnus, cette confiance immédiate à l’égard d’autrui (qui en dépit de tous les pronostics n’a jamais
été démentie par les faits depuis tant et tant d’années que je voyage ainsi, à croire que parmi les signes
invisibles et nécessaires à ces rencontres, figure d’abord la confiance). Rien de tout cela ne s’apprend évidemment
à la Sorbonne ni à aucune autre école mais seulement sur le terrain, au sens propre du terme :
savoir se faire accepter par les autres, arriver à l’improviste sans être jamais un intrus, rester entièrement
soi-même tout en renonçant à ses acquis et à ses habitudes, bref devenir autonome à l’égard de
sa naissance et lié à tous les lieux, à tous les êtres qu’on rencontre, c’est cela que m’apprit la Crète. Là,
dans ces villages misérables, au milieu de ces familles si pauvres et si chaleureuses pourtant, j’ai pu
enfin me délivrer du lieu de ma naissance, rompre ce faux cordon ombilical que tant d’êtres traînent avec
eux toute leur vie. Là, j’ai commencé mon apprentissage de véritable voyageur. Qu’est-ce, me direz-vous,
qu’un véritable voyageur ? Celui qui, en chaque pays parcouru, par la seule rencontre des autres et l’oubli
nécessaire de lui-même, y recommence sa naissance ».
Texte C : Victor Segalen, Essai sur l’exotisme (1978)
Victor Segalen est un médecin, ethnologue, archéologue français (1878-1919) qui a vécu en Polynésie et en
Chine. Il a longuement travaillé sur les stèles funéraires de la dynastie Han (de 200 av. J.C. à 200 ap. J.C.) et il
a publié des rapports archéologiques et des romans (Les Immémoriaux en 1907, Stèles en 1912, René Leys
en 1922). Beaucoup ont été publiés après sa mort accidentelle en 1919, réunis sous le titre d’’Essai sur l’exotisme.
Il a renouvelé l’image de l’exotisme, en refusant l’aspect naïf et un peu fier avec lesquels les écrivains
« exotiques » de son époque découvraient ces contrées jusque-là peu visitées.« Avant tout, déblayer le terrain. Jeter par-dessus bord tout ce que contient de mésusé et de rance ce
mot d’exotisme. Le dépouiller de tous ses oripeaux : le palmier et le chameau ; casque de colonial ;
peaux noires et soleil jaune ; et du même coup se débarrasser de tous ceux qui les employèrent avec une
faconde niaise (...)
Puis, dépouiller ensuite le mot d’exotisme de son acception seulement tropicale, seulement géographique.
L’exotisme n’est pas seulement donné dans l’espace, mais également en fonction du temps.
Et en arriver très vite à définir, à poser la sensation d’Exotisme : qui n’est autre que la notion du différent ;
la perception du Divers ; la connaissance que quelque chose n’est pas soi-même ; et le pouvoir d’exotisme,
qui n’est que le pouvoir de concevoir autre.
En étant arrivé à ce Rétrécissement progressif d’une notion si vaste en apparence qu’elle semblait, au
début, comprendre le Monde et les Mondes ; l’ayant dépouillée des scories innombrables, des bavures,
des taches, des ferments et des moisissures qu’un si long usage – tant de bouches, tant de mains prostitueuses
et touristes – lui avaient laissées ; la possédant enfin, cette notion, à l’état d’idée claire et
toute vive, laissons-lui reprendre chair, et comme un germe, cette fois pur, se développer librement,
joyeusement, sans entraves mais sans surcharges ; s’emparer de toutes les richesses sensorielles et
intelligibles qu’elle rencontrera dans son élargissement et, se gonflant de tout, à son tour embellir et
revivifier tout (...)
L’exotisme n’est donc pas une adaptation ; n’est donc pas la compréhension parfaite d’un hors soi-même
qu’on étreindrait en soi, mais la perception aiguë et immédiate d’une incompréhensibilité éternelle.
Partons donc de cet aveu d’impénétrabilité. Ne nous flattons pas d’assimiler les moeurs, les races, les
nations, les autres ; mais au contraire réjouissons-nous de ne le pouvoir jamais ; nous réservant ainsi la
perdurabilité du plaisir de sentir le Divers. (C’est ici que pourrait se placer ce doute : augmenter notre
faculté de percevoir le Divers, est-ce rétrécir notre personnalité ou l’enrichir ? Est-ce lui voler quelque
chose ou la rendre plus nombreuse ? Nul doute : c’est l’enrichir abondamment, de tout l’Univers. (...)
Et c’est notre première expérience d’exotisme. Le monde extérieur est ce qui se différencie aussitôt
de nous. L’on va fuir les anciennes disputes sur la réalité des choses. Oh ! Qu’importe ! si elles nous
émeuvent. Or le sentiment de nature n’exista qu’au moment où l’homme sut la concevoir différente de
lui ».
Questions
Quel regard les auteurs de ces textes portent-ils sur l’autre et sur eux-mêmes ?
Travail d’écriture 
Vous traiterez ensuite, au choix, l’un des deux sujets suivants :
1. Dissertation
Lévi-Strauss écrit dans l’incipit de Tristes Tropiques : « Pour l’ethnologue, le voyage n’est pas un but : c’est
un moyen, un moyen indispensable, et ce qui compte, ce n’est pas du tout le côté touristique mais ce que
nous rapportons de connaissances et d’informations ».
Vous réfléchirez à cette déclaration de Lévi-Srauss en vous demandant quel éclairage sur le monde et
sur soi-même apporte le voyage, qu’il soit vécu ou qu’on en lise le récit.
2. Écriture d’invention
Imaginez que vous faites partie de l’équipage de Bougainville. Offensé pas les propos excessifs du vieillard
qui vous semblent injustifiés, vous répondez à ses accusations. Vous serez attentif à garder un langage
soutenu et à ne pas faire d’anachronismes.




1 commentaire pour ce devoir


Anonyme
Posté le 28 déc. 2017

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