[Français]Gustave Flaubert , Mémoire d'un fou, 1893

Publié le 22 févr. 2017 il y a 7A par Anonyme - Fin › 25 févr. 2017 dans 7A
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Sujet du devoir

À toi, mon cher Alfred, ces pages sont dédiées et données.
Elles renferment une âme tout entière. – Est-ce la mienne ? Est-ce celle d'un autre ? J'avais d'abord voulu faire un roman intime où le scepticisme serait poussé jusqu'aux dernières bornes du désespoir, mais, peu à peu, en écrivant, l'impression personnelle perça à travers la fable, l'âme remua la plume et l'écrasa.
J'aime donc mieux laisser cela dans le mystère des conjectures. Pour toi, tu n'en feras pas.
Seulement, tu croiras peut-être en bien des endroits que l'expression est forcée et le tableau assombri à plaisir. Rappelle-toi que c'est un fou qui a écrit ces pages, et, si le mot paraît souvent surpasser le sentiment qu'il exprime, c'est que, ailleurs, il a fléchi sous le poids du cœur.
Adieu, pense à moi et pour moi.

I

Pourquoi écrire ces pages ? – À quoi sont-elles bonnes ? – Qu'en sais-je moi-même ? Cela est assez sot à mon gré d'aller demander aux hommes le motif de leurs actions et de leurs écrits. – Savez-vous vous-même pourquoi vous avez ouvert les misérables feuilles que la main d'un fou va tracer ?
Un fou, cela fait horreur. Qu'êtes-vous, vous, lecteur ? Dans quelle catégorie te ranges-tu ? dans celle des sots ou celle des fous ? – Si l'on te donnait à choisir, ta vanité préférerait encore la dernière condition. Oui, encore une fois, à quoi est-il bon, je le demande en vérité, un livre qui n'est ni instructif, ni amusant, ni chimique, ni philosophique, ni agricultural, ni élégiaque, un livre qui ne donne aucune recette ni pour les moutons ni pour les puces, qui ne parle ni des chemins de fer, ni de la Bourse, ni des replis intimes du cœur humain, ni des habits Moyen Âge, ni de Dieu, ni du diable, mais qui parle d'un fou, c'est-à-dire le monde, ce grand idiot, qui tourne depuis tant de siècles dans l'espace sans faire un pas, et qui hurle, et qui bave, et qui se déchire lui-même ?
Je ne sais pas plus que vous ce que vous allez lire car ce n'est point un roman ni un drame avec un plan fixe, ou une seule idée préméditée, avec des jalons pour faire serpenter la pensée dans des allées tirées au cordeau.
Seulement, je vais mettre sur le papier tout ce qui me viendra à la tête, mes idées avec mes souvenirs, mes impressions, mes rêves, mes caprices, tout ce qui passe dans la pensée et dans l'âme, – du rire et des pleurs, du blanc et du noir, des sanglots partis d'abord du cœur et étalés comme de la pâte dans des périodes sonores, – et des larmes délayées dans des métaphores romantiques. Il me pèse cependant à penser que je vais écraser le bec à un paquet de plumes, que je vais user une bouteille d'encre, que je vais ennuyer le lecteur et m'ennuyer moi-même ; j'ai tellement pris l'habitude du rire et du scepticisme qu'on y trouvera, depuis le commencement jusqu'à la fin, une plaisanterie perpétuelle, et les gens qui aiment à rire pourront à la fin rire de l'auteur et d'eux-mêmes.
On y verra comment il y faut croire au plan de l'univers, aux devoirs moraux de l'homme, à la vertu et à la philanthropie, mot que j'ai envie de faire inscrire sur mes bottes, quand j'en aurai, afin que tout le monde le lise et l'apprenne par cœur, même les vues les plus basses, les corps les plus petits, les plus rampants, les plus près du ruisseau.
On aurait tort de voir dans ceci autre chose que les récréations d'un pauvre fou. Un fou ! Et vous, lecteur, vous venez peut-être de vous marier ou de payer vos dettes ?

II

Je vais donc écrire l'histoire de ma vie. – Quelle vie ! Mais ai-je vécu ? Je suis jeune, j'ai le visage sans ride et le cœur sans passion. – Oh ! comme elle fut calme, connue elle paraît douce et heureuse, tranquille et pure. Oh ! oui, paisible et silencieuse comme un tombeau dont l'âme serait le cadavre.
À peine ai-je vécu : je n'ai point connu le monde, – c'est-à-dire je n'ai point de maîtresses, de flatteurs, de domestiques, d'équipages, – je ne suis pas entré (comme on dit) dans la société, car elle m'a paru toujours fausse et sonore, et couverte de clinquant, ennuyeuse et guindée.
Or, ma vie, ce ne sont pas des faits ; ma vie, c'est ma pensée.
Quelle est donc cette pensée qui m'amène maintenant, à l'âge où tout le monde sourit, se trouve heureux, où l'on se marie, où l'on aime ; à l'âge où tant d'autres s'enivrent de toutes les amours et de toutes les gloires, alors que tant de lumières brillent et que les verres sont remplis au festin, à me trouver seul et nu, froid à toute inspiration, à toute poésie, me sentant mourir et riant cruellement de ma lente agonie, comme cet épicurien qui se fit ouvrir les veines, se baigna dans un bain parfumé et mourut en riant, comme un homme qui sort ivre d'une orgie qui l'a fatigué ?
Ô comme elle fut longue cette pensée ; comme une hydre, elle me dévora sous toutes ses faces. Pensée de deuil et d'amertume, pensée de bouffon qui pleure, pensée de philosophe qui médite...


Gustave Flaubert, Mémoires d’un fou, 1839

 

 

 

  1. II – Questions sur l’extrait de Mémoires d’un fou
  2. « Elles renferment une âme tout entière » : cette phrase est le programme de l’œuvre. De quelle autre œuvre autobiographique peut-on rapprocher le projet de décrire une âme tout entière ? Si vous l’avez reconnue, justifiez votre réponse en citant des extraits de l’extrait.
  3. En quoi les phrases qui suivent sont-elles en contradiction avec le projet énoncé ?
  4. Relisez attentivement les deux premiers paragraphes du II : à quel autre auteur vu dans le cours vous font-ils penser et pourquoi ? Si vous l’avez reconnu, citez des passages de l’extrait étudié pour justifier votre réponse.
  5. Vers la fin de l’extrait, Flaubert écrit :
    « Or, ma vie, ce ne sont pas des faits ; ma vie, c'est ma pensée. »
  6. Comment comprenez-vous cette phrase ? Quelle vision de l’écriture autobiographique donne-t-elle ?

Où j'en suis dans mon devoir

pour la 4 et la deux j'ai lu : Les Essais de Montaigne , Les confessions de Rousseau




4 commentaires pour ce devoir


willffy
willffy
Posté le 22 févr. 2017

http://livres.ados.fr/Gustave-Flaubert/livres/les-memoires-d-un-fou/

Don Quichotte?

il y faut croire au plan de l'univers, aux devoirs moraux de l'homme, à la vertu et à la philanthropie, mot que j'ai envie de faire inscrire sur mes bottes, quand j'en aurai, afin que tout le monde le lise et l'apprenne par cœur, même les vues les plus basses, les corps les plus petits, les plus rampants, les plus près du ruisseau.

Anonyme
Posté le 22 févr. 2017

non je n'ai pas étudier sur Don Quichotte

J'avais oublier de préciser quelle auteur j'ai étudier en Français

(Les Essais de Montaigne , Les confessions de J-J Rousseau)

willffy
willffy
Posté le 22 févr. 2017

Alors c'est le préambule de Rousseau:

 

http://bacdefrancais.net/preambule.php

 

 

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willffy
willffy
Posté le 22 févr. 2017

Vers la fin de l’extrait, Flaubert écrit :
« Or, ma vie, ce ne sont pas des faits ; ma vie, c'est ma pensée. »
Comment comprenez-vous cette phrase ? Quelle vision de l’écriture autobiographique donne-t-elle ?

Flaubert ne veut pas raconter sa vie, mais expliquer ses pensées, son cheminement , ses envies ...


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