Commentaire de texte : Diderot, Entretien d'un père et de ses enfants

Publié le 2 avr. 2012 il y a 12A par Anonyme - Fin › 13 avr. 2012 dans 12A
5

Sujet du devoir

Puis, tirant un livre de sa poche : « Il faut, ajouta-t-il, que je vous lise quelques pages d’une description de la Sicile par le père Labat.

moi.

Je les connais. C’est l’histoire du calzolaio [4] de Messine.
mon frère.

Précisément.
le prieur.

Et ce calzolaio, que faisait-il ?
mon frère.

L’historien raconte que, né vertueux, ami de l’ordre et de la justice, il avait beaucoup à souffrir dans un pays où les lois n’étaient pas seulement sans vigueur, mais sans exercice. Chaque jour était marqué par quelque crime. Des assassins connus marchaient tête levée, et bravaient l’indignation publique. Des parents se désolaient sur leurs filles séduites et jetées du déshonneur dans la misère, par la cruauté des ravisseurs. Le monopole enlevait à l’homme laborieux sa subsistance et celle de ses enfants ; des concussions de toute espèce arrachaient des larmes amères aux citoyens opprimés. Les coupables échappaient au châtiment, ou par leur crédit, ou par leur argent, ou par le subterfuge des formes. Le calzolaio voyait tout cela ; il en avait le cœur percé ; et il rêvait sans cesse sur sa selle aux moyens d’arrêter ces désordres.

le prieur.

Que pouvait un pauvre diable comme lui ?

mon frère.

Vous allez le savoir. Un jour, il établit une cour de justice dans sa boutique.

le prieur.

Comment cela ?
moi.

Le prieur voudrait qu’on lui expédiât un récit, comme il expédie ses matines.
le prieur.

Pourquoi non ? L’art oratoire veut que le récit soit bref, et l’Évangile que la prière soit courte.
mon frère.

Au bruit de quelque délit atroce, il en informait ; il en poursuivait chez lui une instruction rigoureuse et secrète. Sa double fonction de rapporteur et de juge remplie, le procès criminel parachevé, et la sentence prononcée, il sortait avec une arquebuse sous son manteau ; et, le jour, s’il rencontrait les malfaiteurs dans quelques lieux écartés, ou la nuit, dans leurs tournées, il vous leur déchargeait équitablement cinq ou six balles à travers le corps.

le prieur.

Je crains bien que ce brave homme-là n’ait été rompu vif. J’en suis fâché.
mon frère.

Après l’exécution, il laissait le cadavre sur la place sans en approcher, et regagnait sa demeure, content comme quelqu’un qui aurait tué un chien enragé.
le prieur.

En tua-t-il beaucoup de ces chiens-là ?
mon frère.

On en comptait plus de cinquante, et tous de haute condition ; lorsque le vice-roi proposa deux mille écus de récompense au délateur ; et jura, en face des autels, de pardonner au coupable s’il se déférait lui-même.
le prieur.

Quelque sot !
mon frère.

Dans la crainte que le soupçon et le châtiment ne tombassent sur un innocent…
le prieur.

Il se présenta au vice-roi !
mon frère.

Il lui tint ce discours : « J’ai fait votre devoir. C’est moi qui ai condamné et mis à mort les scélérats que vous deviez punir. Voilà les procès-verbaux qui constatent leurs forfaits. Vous y verrez la marche de la procédure judiciaire que j’ai suivie. J’ai été tenté de commencer par vous ; mais j’ai respecté dans votre personne le maître auguste que vous représentez. Ma vie est entre vos mains, et vous en pouvez disposer. »
le prieur.

Ce qui fut fait.
mon frère.

Je l’ignore ; mais je sais qu’avec tout ce beau zèle pour la justice, cet homme n’était qu’un meurtrier.
le prieur.

Un meurtrier ! le mot est dur : quel autre nom pourrait-on lui donner, s’il avait assassiné des gens de bien ?
moi.

Le beau délire !
ma sœur.

Il serait à souhaiter…
mon frère, à moi.

Vous êtes le souverain : cette affaire est soumise à votre décision ; quelle sera-t-elle ?
moi.

L’abbé, vous me tendez un piège ; et je veux bien y donner. Je condamnerai le vice-roi à prendre la place du savetier, et le savetier à prendre la place du vice-roi.
ma sœur.

Fort bien, mon frère.


Mon père reparut avec ce visage serein qu’il avait toujours après la prière. On lui raconta le fait, et il confirma la sentence de l’abbé. Ma sœur ajouta : « et voilà Messine privée, sinon du seul homme juste, du moins du seul brave citoyen qu’il y eût. Cela m’afflige. »

On servit ; on disputa encore un peu contre moi ; on plaisanta beaucoup le prieur sur sa décision du chapelier, et le peu de cas qu’il faisait des prieurs et des chanoines. On lui proposa le cas du testament ; au lieu de le résoudre, il nous raconta un fait qui lui était personnel.

le prieur.

Vous vous rappelez l’énorme faillite du changeur Bourmont.

mon père.

Si je me rappelle ! j’y étais pour quelque chose.

le prieur.

Tant mieux !
mon père.

Pourquoi tant mieux ?
le prieur.

C’est que, si j’ai mal fait, ma conscience en sera soulagée d’autant. Je fus nommé syndic des créanciers. Il y avait parmi les effets actifs de Bourmont un billet de cent écus sur un pauvre marchand grènetier son voisin. Ce billet, partagé au prorata de la multitude des créanciers, n’allait pas à douze sous pour chacun d’eux ; et exigé du grènetier, c’était sa ruine. Je supposais.
mon père.

Que chaque créancier n’aurait pas refusé 12 sous à ce malheureux ; vous déchirâtes le billet, et vous fîtes l’aumône de ma bourse.
le prieur.

Il est vrai ; en êtes-vous fâché ?

Mon père.

Non.

le prieur.

Ayez la bonté de croire que les autres n’en seraient pas plus fâchés que vous ; et tout sera dit.

mon père.

Mais, monsieur le prieur, si vous lacérez de votre autorité privée un billet, pourquoi n’en lacérerez-vous pas deux, trois, quatre ; tout autant qu’il se trouvera d’indigents à secourir aux dépens d’autrui ? Ce principe de commisération peut nous mener loin, monsieur le prieur : la justice, la justice…
le prieur.

On l’a dit, est souvent une grande injustice.



Il faut que je rédige un commentaire sur ce texte, pas d'autre indication si ce n'est que le thème est évidemment la justice.
(Pour le sujet mieux typographié : http://fr.wikisource.org/wiki/Entretien_d%27un_p%C3%A8re_avec_ses_enfants à la balise 303)

Où j'en suis dans mon devoir

Mon problème est de trouver une problématique et un plan qui va avec. Sachant que mon analyse doit se baser aussi bien sur le fond (philo, justice) que la forme (théatre, dialogue).

J'ai quelques idées déjà mais je n'arrive pas à tirer substance du texte qui me permettrait d'appuyer l'argumentation et rédiger un plan solide :
- L'Utilisation du dialogue par Diderot pour amener les diverses idées et prises de position des personnages pour faire réfléchir le lecteur, il laisse ce dernier se faire un avis personnel en ne donnant pas de conclusion ferme.

- Dans les deux anectodes, la dualité entre justice positive et justice naturelle : Laquelle faut-il préferer.? Puisque même si la justice positive n'est pas forcément juste, elle est synonyme d'un certain ordre et stabilité alors que la justice naturelle opérée par le prieur et le calzolaio ( cordonnier) est bonne (quoique discutable pour ce dernier) mais à grosse échelle ménerait à un désordre (dernière réplique du père).

Voilà ce que j'ai pour l'instant.
Aussi je n'est pas compris la réplique de "Moi" :

L’abbé, vous me tendez un piège ; et je veux bien y donner. Je condamnerai le vice-roi à prendre la place du savetier, et le savetier à prendre la place du vice-roi.

Pourquoi il s'adresse à l'abbé au début, alors qu'il répond à la question du frère.

Merci pour votre aide



1 commentaire pour ce devoir


Anonyme
Posté le 3 avr. 2012
La problématique est :"Peut-on faire justice soi-même". Diderot soulève ce problème dans les deux anecdotes mais il laisse au lecteur le soin de conclure car les solutions proposées par les intervenants laissent place à la critique(à noter que D. propose dans la première anecdote une solution difficilement réalisable). Cette façon d'aborder un problème sans vraiment le résoudre est une démarche philosophique assez typique car elle oblige le lecteur à un travail de réflexion.Pour le commentaire on peut étudier la façon dont D. nous amène à ce travail de réflexion.

Ils ont besoin d'aide !

Il faut être inscrit pour aider

Crée un compte gratuit pour aider

Je m'inscrisOU

J'ai déjà un compte

Je me connecte